17 - Tenderly
- huile sur toile de lin - 60X75cm -
Le temps n’avait plus de temps.
Elle ne connaissait plus son âge, elle avait perdu son passé, son identité.
Dans son esprit, seule subsistait l’époque de ses 30 ans, avec moi : « Zabeth »… qu'elle prenait pour sa sœur bien-aimée, morte depuis 15 ans.
Elle s’était mariée à 40 ans seulement, puis m’avait mise au monde pour avoir un enfant, par convenance.
Elle aurait pu être ma grand-mère.
Je ne l’ai connue belle qu’au travers de photos.
Deux AVC avaient eu raison de sa vaillance et l’Alhzeimer grignotait peu à peu sa mémoire.
Veuve depuis quelques années, elle avait voulu « se placer » en Maison de repos pour éviter la solitude.
Elle « radotait » de plus en plus et à chacune de mes visites elle répétait mot à mot ce qu’elle m’avait dit la veille.
Un jour, sans crier gare, le couperet était tombé.
Lorsque j'étais entrée dans sa chambre, elle m'avait dit :
- « Qui êtes vous ? Je ne vous connais pas ! »
- « Je suis ta fille ! »
- « Je n’ai jamais été mariée et je n’ai jamais eu de fille !
Qui êtes-vous ? »
Le souffle coupé, ivre de douleur, je l’avais quittée le cœur brisé.
Ce jour-là, elle avait cessé d’exister. Sa raison l'avait abandonnée.
Mais je l’aimais…
A ma grande surprise, elle devint de plus en plus heureuse.
Elle revoyait en moi « sa chère soeur Zabeth » absente depuis si longtemps.
Etrange mémoire ...qui se mit à se souvenir de tous leurs jours heureux passés ensemble.
Je devins donc officiellement « Zabeth » et lui donnai le change.
On riait souvent. Elle gardait une imagination débordante.
Elle avait à nouveau 30 ans et en était convaincue !
Le médecin m'avait dit de ne surtout pas la contrarier, son moral allait mieux.
Pourtant son corps ne sentait plus ni la faim, ni la soif, ni aucune douleur physique... d'ailleurs.
Paralysée et presque aveugle, elle avait conservé une ouïe très fine, l'usage du langage et d'un seul bras mais aussi l'amour du chocolat : des "Ferrero Rocher" que je lui déposais chaque jour dans la bouche... un vrai bonheur pour elle, ses yeux brillaient !
Mais quand il m'arrivait d'oublier mon rôle pour lui parler de moi, elle redevenait hostile, méfiante …ou pire … elle commençait à pleurer en silence.
Sa réalité lui revenait par bribes et lui était insupportable : la solitude, la décrépitude physique, la maladie et l’abandon de tous...
Ainsi, pendant cinq années, j’ai fait son bonheur en jouant le rôle d’une morte.
Quand elle entendait les pas de « Zabeth » s’approcher d’elle, son visage s’illuminait, elle souriait.
Puisque j’étais là quotidiennement, elle a cru jusqu’au bout que je logeais dans la chambre voisine pour veiller sur elle.
Elle était rassurée.
Son bonheur devint le mien.
Etonnamment, ces cinq années-là furent les plus belles de ma vie car je pris pour moi tout l’amour qu’elle donnât à sa sœur … l'amour qu’elle n’avait jamais su me donner sa vie durant, jamais… tenderly mummy…
Sa fin ultime fut des plus pénibles pour elle, physiquement, mais je ne veux rien en retenir.
Cette peinture me fait penser avec tendresse à toute la douceur que j'ai reçue de ma "Maman" à la fin de sa vie.
Commentaires
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- 1. Jean-Pierre Grilhé Le 29/07/2016
Bonsoir Nicole, je ne sais quel fil vous a relié à moi mais je m'en félicite ! J'ai découvert votre oeuvre dans laquelle je me sens bien ! Les années passées auprès de votre Maman... Quelle leçon de vie !
Cordialement
JPG -
- 2. Danielle Bellefroid Le 26/07/2016
Merci pour cette histoire d'amour très touchante Nicole.
Tu as parfaitement su exprimer cette tendre complicité ... tes pinceaux rechantent et ça me fait vraiment plaisir.
Je t'embrasse bien fort,
Danielle -
- 3. Michel Bonsen Le 24/07/2016
Une bien belle histoire et une peinture reflétant toute l'intensité de cet échange...félicitations Nicole...
Michel
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